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Cuisson de sifflets Fabrique Guilmet
Connerré milieu du XXème
Col. privée
Les coucous de la région de Prévelles sont sans doute les sifflets les plus connus de la Sarthe. Fabriqués par centaines de milliers, ils ont été vendus dans toute la France pendant plusieurs siècles et ont assuré la prospérité de certains potiers.

Profitant d'une terre blanche facile à tourner, les potiers de Prévelles ont été les premiers à tourner en série des sifflets en forme d'oiseaux simplement stylisés. Seule la tête ou parfois les ailes sont vernissées au manganèse (jusqu'au début du XXème), en vert et en jaune.

Grace à cette production rapide, le prix des sifflets est faible. Si beaucoup de potiers sarthois fabriquaient des ménageons (vaisselle miniature pour les enfants), seuls quelques potiers fabriquaient ces "turlots", sifflets et oeufs à couver.

 
  Parmi les sifflets, se retrouvent les coucous, sifflets globulaires en forme d'oiseau à un trou de jeu; les rossignols, sifflets à eau en forme d'oiseau; les cailles, sifflets globulaires à plusieurs trous de jeu; les buis ou buires, sifflets à eau en forme de cruche à une anse; et enfin les petits sifflets simplement modelés en forme d'oiseau, semblables aux oiseaux sifflets qui décorent les cochelins de Ligron au XVIIIème siècle.

A la fin du XIXème siècle, le marché national s'ouvre avec l'amélioration des transports. La famille Lapoutoire de Prévelles se trouve confrontée à la concurrence d'autres potiers.

La majorité des sifflets conservés datent du début du XXème siècle où les sifflets de la Sarthe se vendent dans toute la France. Les attributions précises de ces sifflets à un potier sont difficiles cependant, en comparant de nombreux sifflets, des différences existent dans la manière de modeler la tête ou le socle ou encore dans les glaçures employées. C'est en s'appuyant sur ces différences que des attributions possibles sont proposées ci-dessous.

 
PREVELLES
  La famille LAPOUTOIRE


Ce sont certainement les Lapoutoire, potiers à Prévelles, qui sont à l'origine de la fabrication des coucous typiques sarthois.

Présents à Prévelles depuis le XVIème siècle (voir une généalogie simplifiée des Lapoutoire), leur spécialité de fabriquants de sifflets y est attestée au début du XIXème siècle quand Pierre Lapoutoire est déclaré en 1833 "marchand de petits sifflets".

La production est commercialisée largement comme on l'a déjà vu avec les sifflets de Prévelles du XVIIIème trouvés lors des fouilles du Louvre.

Un sifflet trouvé sur les rives de la Tamise à Londres et daté des XVIème ou XVIIème siècle pourrait provenir de Prévelles. Bien que l'anse supérieur soit cassée, tous les détails (argile blanche, forme, modelage du sifflet) rappellent Prévelles. Le commerce de sifflets expliquent sans doute depuis longtemps la propsérité de la famille Lapoutoire.



Sifflet à eau en forme de "buie"
XVI-XVIIème
Trouvé à Londres
H: L: l:
Col. privée
 
 

Coucou acquis en 1878
attribué sans doute à Eugène Lapoutoire
Musée national de la céramique de Sèvres
Ce n'est qu'avec les livres de comptes du fils de Pierre Lapoutoire: Eugène Lapoutoire tenus de 1872 à 1896 puis du neveu de celui-ci Ludovic Barbé qu'on peut connaître l'importance de la diffusion des sifflets de l'atelier de Prévelles.

Eugène Lapoutoire (1844-1914) écrit dans son livre de compte pour chaque vente le détail de la marchandise, le prix et bien sûr le client.

Ces clients sont très variés mais ce sont surtout des négociants de Paris, des fabriquants de poteries de Quimper, Saumur, Haute-Saône, etc. ou des marchands. Les sifflets sont ainsi vendus dans toute la France: Lille, Lunéville, Tassenières dans le Jura, Béziers, Toulouse, Bordeaux mais les principaux clients sont bretons. La Bretagne représente la moitié des ventes suivie du Nord, de Paris, de l'Ouest, de la Normandie, du Centre et de l'Est.

Dans un plus faible proportion, il vend aussi aux autres marchands de la Sarthe: la Villa du Rond à Bonnétable ou la fabrique Guilmet de Connerré.

Le prix en 1872 est de 20F les mille sifflets (sauf 6F le petit sifflet et 12F la caille). Ils sont vendus par panier. Si les sifflets ne sont pas la seule production, ils sont cependant majoritaires (en 1897, seuls 3800 ménageons sur 100 655 pièces ) et l'importance de ces ventes expliquent le nombre de sifflets qui se retrouvent aujourd'hui dans toutes les régions et dans bien des musées.

Les régions de vente sont celles où la production locale est presque inexistante au début du XXème siècle. Est-ce la vente massive de ces sifflets à petit prix qui a causé la fin des productions locales dans le grand ouest et le nord de la France?

Il est probable qu'Eugène n'est pas le premier de sa famille à exercer ce commerce à grande échelle car la poterie ne connait pas avec lui de développement notable. Le développement des transports lui a sans doute permis d'étendre son aire de vente mais Paris, l'Ouest et la Bretagne devaient être avant lui les débouchés commerciaux de ses ancêtres.

 
 

Prospectus de vente de L. Barbé
imprimé en 1909
Ludovic Barbé (1872-1952) entre en apprentissage chez son oncle en 1886 et travaillera à Prévelles jusqu'à sa mort en 1952. Il s'installe à la mort de son oncle dans sa maison qui jouxte l'atelier et qui est aujourd'hui tranformée en un musée consacré à la poterie de Prévelles (La maison du potier). Dans la cour se trouve encore le four où on pouvait cuire 6000 jouets par fournée.

Il fabrique un millier de pièce par jour et continue à vendre aux anciens clients de son oncle. Il réalise même un prospectus et augmente la clientèle de gros clients parisiens: les Galeries Modernes, les Galeries Parisiennes, les Magasins Réunis ou la Ruche Picarde qui revendent les sifflets dans leurs succursales.

La demande baisse entre les deux guerres et après la deuxième guerre mondiale, Ludovic Barbé ne vend plus que dans la région ou pour de vieux clients. Sa production se limite de plus en plus aux oeufs à couver mais malgrè l'âge, il continue à tourner et laissera à sa mort une dernière tournée de coucous non cuite.

Avec lui s'éteindra une lignée sans doute vieille de quatre siècles de "potiers-turlotiers".

 
 

Sifflet à eau
fin XIXème Eugène Lapoutoire
H: 7,2cm; L: 10,1cm; l: 4,1cm
Col. particulière
Comment reconnaître un coucou de Prévelles?

La façon de modeler la tête est sans doute la principale caracteristique. Après avoir étiré l'argile, le potier replie la tête et forme ainsi une tête triangulaire.

Le socle des sifflets est tourné en forme de piédouche.

Plusieurs glaçures sont utilisées. Pour les modèles les plus anciens, on trouve des glaçures marron, vert clair ou jaune.



Rare coucou formant tirelire
Eugène Lapoutoire?
E Lapoutoire a aussi fabriqué des tirelires en forme de fruit
H: 7cm; L: 9,2cm; l: 5,1 cm
Col. particulière
 
  La glaçure de nombreux sifflets est de très mauvaise qualité. Ces glaçures se retrouvent sur les sifflets de Ludovic Barbé qui réalisait lui-même des mélanges pour ses glaçures.

A partir de quand a-t-il employé ces glaçures? Peut-être pendant l'entre-deux guerres a-t-il chercher à baisser le coût de ses sifflets pour rester compétitif? Ces glaçures sont plus proches à la fin de peinture que de glaçure et on trouve même un émail rougeâtre sur ses dernières productions.

Certains sifflets entièrement glaçurés en marron ont été réalisés d'après la tradition locale par Ludovic Barbé. Il aurait arrêté cette fabrication car pour les clients, il ne s'agissait plus des sifflets traditionnels de Prévelles.

Pour former les sifflets globulaires, Ludovic Barbé utilise un outil en buis qui forme un trou circulaire d'un centimètre.



Sifflet globulaire
Glaçure marron au manganèse
Col. Musée de la Reine Bérengère Le Mans
 
 

Sifflet à eau
fin XIXème Eugène Lapoutoire
H: 7,2cm; L: 10,1cm; l: 4,1cm
Col. particulière
Le sifflet à eau en forme de cruche rappelle la forme des pots à lait et surtout des cruches du XVIIème siècle.

 
 
  La forme des petits sifflets est encore plus ancienne puisqu'on retrouve ces petits sifflets dans le nord de la France depuis l'âge du Bronze. Ces simples sifflets étaient aussi produits dans une taille plus grande.



Gros sifflet
XXème
H: 8 cm

Si les sifflets conservés de ce type sont rares, c'est sans doute que leur petite taille et leur faible prix les destinaient à être vite cassés ou perdus.



Petit sifflet
XIXème
H: 3,5cm; L: 4,7cm; l: 2,9 cm
Col. particulière



Petit sifflet et outil de L.Barbé
XXème
H: 3,4cm; L: 4,3cm; l: 2,5 cm
Col. particulière. Outil collection musée du Mans
 
 
CONNERRÉ
 

Sifflet gobulaire en forme d'oiseau
Connerré fin XIXème? ou Bonnétable
H: 4,7cm; L: 9,3cm; l: 4,6cm
Col. privée
Victor AUBIN


La poterie à Connerré se développe surtout dans la deuxième moitié du XIXème siècle avec l'arrivée du chemin de fer. La plupart des potiers ont leurs racines à Prévelles aussi est-il normal de trouver dans le village une fabrication de sifflets dont à la même époque le marché est très porteur.

Victor-Edouard Aubin (1857- ) est "bimblotier" (fabriquant de petits jouets et sifflets) à Connerré à la fin du XIXème siècle jusqu'au début du XXème. Il semble qu'il soit allé ensuite travailler à Bonnétable en 1909. Paul Cordonnier qui a le premier étudié la poterie du Maine écrit qu'il fabriquait des coucous ou turlots en terre cuite non vernissée sauf pour la tête.

Victor Aubin a été avant son mariage garçon bimbelotier au bourg de Prévelles et a donc appris cette fabrication chez Louis Ferdinand et Eugène Lapoutoire. Il s'est marié et a rejoint Connerré en 1886, année où Ludovic Barbé entre en apprentissage chez son oncle E. Lapoutoire.

 
 

Sifflet à eau en forme de cruche à anse supérieure
Aubin. Connerré fin XIXème? ou Bonnétable
H: 6,8cm: L: 5,8cm; l: 4,2cm
Col. privée
Il est probable que ses sifflets soient semblables à ceux de Prévelles. Certains sifflets sans ailes dont la tête évoque ceux de Prévelles s'en distinguent en revanche par un socle bas cylindrique et une glaçure de meilleure qualité. Faut-il voir là la production de Victor Aubin?

De même, de rares buies ont le même socle cylindrique mais l'anse a une section carré et est finement rainurée. Est-ce là aussi la production de V. AUBIN?



Sifflet à eau en forme de cruche à anse supérieure
Aubin. Connerré fin XIXème? ou Bonnétable
H: 6,5cm: L: 6,4cm; l: 3,9cm
Col. privée
 
 

Cuisson de sifflets
Début du XXème
Col. privée
Fabrique GUILMET


La fabrication de sifflets à Connerré est aussi liée à la famille Guilmet au début du XXème siècle. Les Guilmet sont marchands et ouvrent une fabrique de poterie qui emploit de nombreux ouvriers (jusqu'à 25 dont cinq tourneurs).

La terre vient de Saint-Denis-des-Coudrais. Un ouvrier, M Houalet, fabrique les ménageons et les sifflets mais les Guilmet achètent aussi la production d'autres potiers pour la revendre.

Ces oiseaux ou ces cruches sont le plus souvent glaçurés en vert très foncés mais un lot de sifflets à la glaçure jaune trouvé avec des ménageons portant le tampon "Guilmet" venant de la fermeture de la fabrique montre que le jaune était aussi employé.

La production s'arrète peu avant le guerre de 1939-45 car après guerre seule continue la fabrication des oeufs jusqu'aux début des années 1950.



Sifflet gobulaire en forme d'oiseau
Connerré 1ere moitié XXème S.
H:6,9cm; L:7,5cm; l:4,2cm
Col. privée
 
 

Buie: sifflet à eau en forme de cruche à anse supérieure
Connerré Début du XXème
H: 7,8cm; L: 6,3cm; D: 4,1cm
Col. privée
La glaçure vert foncé est un bon indice pour reconnaître les sifflets de M Houalet et surtout, la tête des oiseaux qu'il fabrique est alongée et dressée vers le haut.

Pour les buies, le sifflet est de forme plus cylindrique que ceux de Prévelles.



Sifflet gobulaire en forme d'oiseau
Connerré 1ere moitié XXème S.
H:7,7cm; L:7,5cm; l:4,2cm
Col. privée
 
AULAINES
 

Prospectus de vente
années 1930


Verso du prospectus
 
  AULAINES:


La production de sifflets à Aulaines serait restée inconnue sans la découverte par un passionné de céramique d'un dépliant de vente du potier Angot-Gautier qui a eu la gentillesse de m'en faire parvenir une copie.

On peut noter que si M Angot-Gautier réside à Mamers, son atelier est à Aulaines à coté de Prévelles et qu'il est également marchand de vaisselle.

Originaire de Mamers, Angot-Gautier s'est installé à Aulaines en 1919 où il succède à Frédéric DRU. Il cesse son activité en 1932 ce qui permet de dater cette affichette de l'entre deux guerres certainement autour de 1930.

On sait que Frédéric DRU employait un ouvrier à temps plein pour produire des turlots et des oeufs. Il les a vendus par la suite à la poterie Guilmet de Conneré dont il était ainsi un "sous-traitant". Angot-Guilmet a certainement continué cette production.

 
 

Cuisson de sifflets
Début du XXème
Col. privée


Cuisson de sifflets
Début du XXème
Col. privée
 
  Le dépliant permet d'identifier assez facilement la production d'Aulaines. Les têtes des oiseaux sont plus grosses et de forme plus carrée que celles des sifflets de Prévelles.

L'ouvrier qui produisait ces sifflets avec Fréderice DRU étant sans doute resté avec M Angot, la production est probablement inchangée de la fin du XIXème à 1932. Les glaçures d'avant 1914 sont sans doute celles de meilleure qualité. Le brun foncé cède la place à un marron de qualité moyenne et les glaçures vertes et jaunes sont ensuite moins couvrantes.

 
BONNETABLE
  C'est vers 1872 après le décès de son père, aubergiste cabaretier de Prévelles, qu'Hilaire Lapoutoire (1834- ), s'installe à Bonnétable. Il a sans doute avant travaillé à la poterie de son oncle Pierre décédé en 1856 avant que les fils de celui-ci, Eugène (1844- ), plus jeune de 10 ans, et Louis-Ferdinand (1840- ) ne reprennent la poterie. Il ne fallait certainement pas que la poterie si rentable de Prévelles ferme ses portes ou sorte de la famille.

Hilaire et sa femme Aimée Péan, fille de potier, achètent une maison dans le bourg, la poterie à l'arrière du logis et un jardin. Leurs trois filles travaillent à la poterie où elles sont payées comme employées. En 1889, outre les trois filles, deux enfants travaillent aussi à la poterie mais la production et le vente sont estimées très lentes.

Au décès des parents, Marie (1860- ), Aimée Pauline (1864- ) et Clotilde (1874- ) restées célibataires continueront la fabrication des ménageons, coucous, cailles et buies et des oeufs à couver jusqu'à l'épuisement de la terre et la fin des commandes puis finiront leur vie à Bonnétable.

 
 

Sifflet globulaire
Décor floral peint à l'huile
Bonnétable? début du XXème
H: 5,4cm; L: 8,9cm; D: 4,3cm
Col. privée
Peut-on identifier la production de Bonnétable? Elle est sans doute proche de celle de Prévelles ou de Victor Aubin à Connerré. La production ayant été importante et assez longue, il faut chercher des sifflets dont les exemplaires soient assez nombreux. Des coucous à socle bas et cylindriques pourraient être les témoins de cette production.

Sifflet gobulaire en forme d'oiseau
Bonnétable 1ere moitié XXème S. ?
H:5,5cm; L:8,7cm; l:4,7cm
Col. privée
 
AUJOURD'HUI
  Ce panorama des sifflets de Prévelles serait incomplet s'il ne parlait pas de la production d'aujourd'hui.

Des millions de sifflets sont sortis des mains de générations de Lapoutoire et de leurs employés au XIX et XXème siècles. Après des décennies d'interruption, le chant des coucous résonne de nouveau à Prévelles grâce à Philippe Ménard.

Ce brillant céramiste réalise en effet à coté d'une production de pichets zoomorphes de petits coucous vendus au musée de Prévelles.



Sifflets gobulaires en forme d'oiseau
Ph. MENARD 2000
H:5,8cm; L:6,5cm; l:4 cm
Col. privée