: les charivaris

 
 
La vertu exorciste du son est universelle. L'homme a toujours senti la nécessité de faire du bruit pour conjurer ses angoisses face aux déséquilibres qu'il perçoit autour de lui.
C'est la source des nombreux charivaris quand la société se sent en péril. Face au déséquilibre des saisons (solstices d'hiver) ou face à des évènements remettant en cause la stabilité de la société villageoise (mariage des veufs ou veuves avec de jeunes gens...), l'homme chasse le danger par ces bruits inorganisés. Le sifflet, éventuellement en terre cuite selon les régions, trouve une place évidente dans ces manifestations.
Si la flûte est souvent associée au tambour pour faire de la musique, sifflets et crécelles sont le reflet 'désorganisé' de ces instruments souvent utilisés dans les charivaris.

 
 
Sifflet en forme de tête de fou.
Trouvé à Tattershall
City and County Museum de Lincoln (UK)
Le carnaval: le sifflet est souvent associé au carnaval au moyen-âge.
Le carnaval naquit de la fusion des anciennes fêtes celtes de la cueillette du gui et des saturnales romaines. La majeure partie des Saturnales (du 17 au 23 décembre) se déplacèrent sur les fêtes de fin d'année au 4ème siècle. Cette période de carnaval couvrait primitivement la période du 25 décembre à l'Epiphanie et l'église chrétienne dut accepter ces débordements avant de les canaliser peu à peu. La période primitive du carnaval est riche de sens car elle correspond aussi au cycle des douze jours entériné au synode de Tours en 567 et qui relie l'ancienne date de la célébration de la naissance du Christ (06/01) à la nouvelle date du 25 décembre. C'est aussi l'époque qui permet d'équilibrer l'année lunaire de 354 jours à l'année solaire de 365 jours.
C'est sans doute dans le cadre de ces festivités que les enfants de Rome passaient de maison en maison avec des sifflets en forme de masque lors des festivités du Nouvel An de 1143. Dans les anciens Pays-Bas, les sifflets de terre cuite utilisés pour le carnaval étaient sans doute les nombreux sifflets en forme de tête de fou produit dans la région. On connaît l'importance lors des célébrations du Mardi-Gras des confréries de fous coiffées du bonnet nommé "coqueluchon". Les sifflets en forme de tête de fou se retrouvent de même en France ou en Angleterre
 
  La forme la plus ancienne reproduite des "coqueluchons" est un couvre-chef en forme de cuculle terminée par une tête de coq.
Des sifflets métalliques en alliage de plomb et étain trouvés à Paris mais aussi à Orléans ou en Angleterre reproduisent des têtes d'hommes coiffés de bonnet ornés d'un coq. La aussi, ce coq nous renvoie aux combats de coq organisés au Jeudi-Jeudiot du carnaval à l'intérieur des universités et qui voyaient se dérouler de véritables sacrifices de coq enfermés dans des paniers. Le but était de décapiter le coq les yeux bandés à l'aide d'un bâton ou d'un sabre et le vainqueur ornait sa coiffure de la tête de l'animal sacrifié.
Faut-il voir également dans les sifflets de terre cuite en forme de coq le témoignage de ce même type d'usage?

Sifflet à eau en forme de coq.
16ème siècle
Sifflet trouvé à Fosses en Val d'Oise
conservé au MNATP

 
  Un autre moment de déséquilibre du calendrier chrétien est le jeudi saint. Dans ce cycle des 10 jours, c'est lors de l'office "des ténèbres" que le sifflet intervient. L'interdiction de sonner les cloches entre le jeudi saint et le samedi saint intervient vers le 8ème siècle. C'est à partir de cette époque qu'est apparue l'intervention des fidèles dans le rituel par du tapage et du vacarme (Van Gennep). Ces vacarmes se retrouvent avant 1900 dans de nombreuses régions de France. Ainsi en Guyenne, à Lignan, les jeunes gens se servaient de cors de terre, d'escargots de mer et de "rossignols" petits sifflets à eau en forme de cruche. Dans le Languedoc, ces sifflets à eau étaient nommés "rossignols du jeudi saint". Cet usage n'est pas spécifique au sifflet en terre cuite car selon les régions et les villages, les sifflets métalliques ou en saule avaient le même usage.

Un autre charivari moins agréable pour ceux qui en faisaient l'objet était celui qui accompagnait les mariages entre un veuf ou une jeune fille ou une veuve et jeune homme. Ces charivaris étaient aussi effectués autour des délits d'adultère. Cette utilisation est répandue car M Gouellain écrit en 1879 pour décrire les sifflets en terre cuite:

"Ce petit instrument de la céramique musicale ne sert pas seulement à poursuivre de ses notes stridentes les virtuoses de troisième ordre pris en rupture de portées; (...) il sert de jouet aux enfants." (Notes sur la céramique musicale)
Dans tous ces cas, la communauté villageoise manifeste ainsi sa réprobation face à un évènement qui met en péril l'harmonie de son fonctionnement.